Pour l’immense majorité des marocains, elle évoque surtout une photographie un peu floue d’une jeune femme de dix-sept printemps datant du 11 avril 1947, date à laquelle elle prononça le fameux discours de Tanger aux côtés de son père, Feu Mohammed V, et durant lequel elle eut ce geste « révolutionnaire » d’ôter son voile. En donnant lors de cet événement historique un visage et une voix à la moitié de la communauté nationale, celle des femmes marocaines, la princesses Lalla Aïcha devenait le porte-étendard de la modernité et faisait souffler sur le Maroc un vent de liberté qui préfigurait l’indépendance acquise dix ans plus tard. Lalla Aïcha s’est éteinte dimanche soir à Rabat, et c’est un peu de l’histoire contemporaine du Maroc qui a disparu avec elle, emportant des souvenirs ancrés à jamais dans l’inconscient collectif des marocains. Peu de marocains ont cependant la mémoire qu’elle a occupé, outre ses fonctions caritatives, des postes diplomatiques éminemment importants, ceux d’ambassadeur en Grande Bretagne , puis à Rome, et qu’elle fit également la couverture du Magazine américain « Time » daté du 11 Novembre 1957, qui vit en elle le symbole de l’ « émancipation de la femme musulmane ». Avec l’âge, Lalla Aïcha était devenue cette silhouette frêle qui s’impliquait avec conviction et bienveillance dans les nombreuses œuvres auxquelles elle prêtait sa voix forte et résolue. Ainsi, son combat pour que les femmes soient reconnues dans la société marocaine et pour que l’égalité de genre devienne une réalité concrète l’a animé tout au long de son existence, et son implication en tant que Président d’honneur de l’Union Nationale de la Femme Marocaine faisait d’elle une voix particulièrement écoutée par les militantes de la cause féministe. A travers cet engagement en faveur des femmes, qui lui fut « inspiré » par feu Mohammed V, le message porté par Lalla Aîcha se voulait aussi comme un message que le modèle de l’islam marocain a ceci d’unique qu’il consacre les valeurs de tolérance, d’égalité et de partage. Ceux qui l’on côtoyé ont souvent évoqué son verbe haut et son sens de la formule lapidaire-qui était sa marque de fabrique- et dont elle partageait la passion avec son frère , Feu Hassan II, avec lequel elle cultivait une gémellité intellectuelle ainsi qu’une complicité forgée par le feu des épreuves communes . A L’heure où le Maroc s’engage résolument dans une nouvelle étape de sa démocratisation, le décès de Lalla Aïcha vient rappeler que la nation marocaine toute entière s’identifie à la famille royale, et que la princesse défunte a accompagné les foyers marocains durant près de quatre-vingt-ans, en traversant avec courage les épreuves, dont les plus emblématiques sont l’exil à Madagascar ou la lutte pour l’indépendance. Les marocains partagent aujourd’hui la peine de leur Roi et de l’ensemble de la famille Royale, car c’est un membre éminent de la « famille Maroc » qui vient de disparaître.
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