Depuis plusieurs mois, c’est devenu un spectacle quasi habituel : dimanche, quelques milliers de marocains battent le pavé. Que cela soit sous la bannière du mouvement du 20 Février, de l’association islamiste du Cheikh Yassine Al Adl Wal Ihssane, ou encore d’autres groupes , l’on assiste à une « professionnalisation de la contestation », qui est accompagnée par une baisse drastique du nombre de manifestants. Ceci est un phénomène normal, car c’est désormais le « noyau dur » -celui qui est le plus mobilisé, le plus politisé, voire le plus radical qui continue à manifester-suite au référendum constitutionnel du 1er Juillet, qui a profondément réorganisé l’équilibre des pouvoirs et les attributions de l’exécutif. En premier lieu, il est utile de rappeler que le bloc contestataire, estimé à près de 20 000 personnes dans tout le Maroc de l’aveu même des organisateurs, correspond en tous points à la base militante active de la « matrice » du 20 Février, à savoir les militants des partis d’extrême gauche tels qu’Annahj Addimocrati ou le Parti Socialiste Unifié (PSU). Cette « base » politique veut se positionner avant les élections législatives de l’automne, où il est à peu près établi que ces partis politiques ne feront qu’un score « symbolique », du fait de leur ancrage modeste dans l’opinion et leur discours radical majoritairement rejeté par l’opinion. Il s’agit là d’un paradoxe, d’un côté le mouvement du 20 Février a réussi à s’attirer les sympathies d’une partie de l’opinion qui dépasse largement l’ électorat d’extrême gauche, de l’autre, il n’arrive pas à faire la « synthèse » avec ces partis. D’où le risque grandissant que le 20 Février, qui a été un élément constitutif important du débat national de ces derniers mois, ne dérive lentement vers les extrêmes, et ne soit donc plus qu’un élément de pondération du débat politique, au lieu d’en être le cœur. Déjà, cette dérive est largement observée dans l’installation d’une contestation structurelle qui s’est retournée contre le mouvement de jeunes, notamment à Taza, où un bretteur du talent d’Abdalilah Benkirane du PJD a réussi à retourner la foule contre le 20 Février, faisant ainsi la démonstration de la fragilité de leur base populaire. Autre élément important : il se murmure que certains leaders « historiques » du mouvement du 20 Février, dont Oussama el Khlifi, seraient tentés par l’aventure politique, et se prépareraient à faire campagne lors des législatives, au sein d’un parti de gauche. Ceci aurait sans doute pour effet de précipiter le déclin d’un mouvement dont il est difficile de cerner l’évolution, tant celle ci semble être dictée par les aléas d’un noyau dur aux ambition contradictoires. Sauf qu’un élément nouveau vient compliquer la donne: les marocains semblent de plus en plus excédés par ces manifestations dominicales en voie de professionnalisation, et craignent que ceci ne suscite un phénomène qui rendrait inaudible de la part des pouvoirs publics d’autres manifestations portant sur des sujets tout aussi importants. En fait, la banalisation des manifestations guette. Elle serait dommageable à la communauté nationale dans son ensemble dans la mesure où la prise de parole citoyenne s’en trouverait gravement altérée, et que l’occupation de l’espace public, qui doit être l’expression ultime d’une revendication, s’en trouvera ainsi durablement discréditée et inefficace.
Comments are closed.