L’invitation au Maroc du prédicateur radical saoudien Mohamed Al Arifi, par une association proche du PJD, le parti islamiste à la tête de la coalition gouvernementale, n’a finalement pas eu lieu. Mais l’annonce de la visite au Maroc d’Al Arifi, connu pour ses prêches enflammés prônant la haine et la violence, avait soulevé un vif débat dans les médias et sur les réseaux sociaux dans le Royaume.
Cela a inspiré le poète et militant des droits humains, Salah El Ouadie, président du mouvement Damir (Conscience), une contribution sans concession publiée sur le site PanoraPost, que nous reproduisons intégralement :
« Parmi les très nombreuses personnes celles qui se sont intéressées à l’invitation faite à Arifi de venir au Maroc, une grande partie était tiraillée entre deux préoccupations majeures : la première est celle de reconnaître — et surtout de ne pas renier — le droit de tout Marocain d’inviter qui il veut pour l’organisation d’événements culturels, scientifiques ou religieux, dans le respect de la loi ; la seconde préoccupation porte sur la vigilance quant au danger que certaines des personnalités invitées peuvent faire peser sur le Maroc, notre principal centre d’intérêt.
Pour ma part, j’ai préféré appeler ceux qui ont invité Arifi à assumer la responsabilité de leur acte, plutôt que de réclamer l’interdiction de sa venue au Maroc. La même position a, par ailleurs, été prise par le Mouvement Damir (conscience)… Pourquoi avoir choisi cette option? Parce que nous pensons que les personnes ayant pris l’initiative d’inviter Arifi sur notre sol sont, de par leur qualité de Marocains, concernés par le présent et l’avenir de leur pays ; et que, par conséquent, ils sont appelés à assumer leur entière responsabilité devant la loi et la conscience collective nationale, dans l’intérêt des générations marocaines à venir.
La question à poser est donc : la présence d’Arifi chez nous pouvait-elle servir le Maroc et lui être utile d’une façon ou d’une autre ?
S’il s’était agi d’un simple discours religieux de cet homme, ou d’une exégèse théologique appelant à un islam modéré et tolérant, à destination de nos concitoyens, nul n’aurait prêté attention à l’événement. Mais Arifi est ce qu’il est, ainsi que le démontrent nombre de ses positions, initiatives et appels qui représentent une menace évidente pour notre pays, et essentiellement pour notre jeunesse, sur tous les plans et à tous les niveaux.
Aussi, est-il bien sage que nous recevions sur nos terres un individu qui n’hésite pas à dresser les musulmans les uns contre les autres, par ses imprécations et ses exhortations soutenant les adeptes de Daech en Syrie : « Notre argent et nos armes sont à votre disposition… Dieu est à vos côtés (dit-il, comme s’il avait reçu une révélation du Créateur), nos âmes et nos esprits vous sont assurés, et nous combattrons tous dans vos rangs, parmi vous. Vous êtes à l’avant-garde et nous, par la volonté de Dieu, nous vous suivrons »…
Est-il raisonnable dans le monde d’aujourd’hui d’entendre des gens émettre des fatwas appelant à détruire des églises et à brûler les croix, exhortant les gens à en crucifier d’autres et réveillant les instincts communautaires les plus bas et les plus vils, à travers l’incitation des musulmans sunnites à se soulever contre le chiisme ?
Pouvons-nous réellement considérer que les chantres du lynchage et de l’immolation d’êtres humains sont de simples exégètes ?
Est-ce une chose rationnelle que d’inviter un personnage recommandant au père d’éviter de se trouver dans un endroit isolé avec sa fille, « pour éviter la tentation » ?… comme si les êtres humains étaient des animaux animés par des instincts qu’ils ne sauraient retenir, pas plus qu’ils ne sauraient réprimer des pulsions coupables jusque vis-à-vis de leurs propres filles !
Accueillir chez nous un homme qui pense et croit à la puissance de la thérapie par l’urine est-il un acte intelligent ?
Est-il sain de recevoir en notre pays un homme qui conseille aux hommes, pour freiner leurs ardeurs à l’égard de leurs aimées, de les imaginer déféquer, uriner ou en périodes de menstrues ?
Pourrions-nous accepter parmi nous, et par respect pour nos femmes, un personnage qui prétend nous enseigner notre religion et qui leur interdit de conduire des voitures au prétexte que leurs bassins se soulèvent sous les cahots, enflammant ainsi leur libido?!
Avons-nous vraiment besoin de quelqu’un qui — notons la médiocrité et la bassesse de l’idée — recommande d’allaiter des adultes en guise de réponse à la problématique du chômage, du développement et de l’instauration de la démocratie ?
Avons-nous besoin de quelqu’un qui se prétend théologien en insultant l’intelligence des gens, fermant les yeux sur son époque et tournant le dos au monde, affirmant que si la parole de la femme ne vaut qu’à moitié, c’est en raison d’une glande dans le corps féminin, qu’il est d’ailleurs bien incapable de nommer ?
Est-ce donc cela la sagesse, que de placer au rang des savants et d’accueillir les bras ouverts un individu dont on considère les postillons émis lors d’une psalmodie du Coran comme étant thérapeutiques ?
Sommes-nous donc voués à écouter et subir de tels discours aussi incitatifs à la haine qu’arriérés et bancals, et sommes-nous destinés à les croire pour la simple raison qu’ils se présentent comme des exégèses coraniques ?
Et, plus globalement, tout cela relève-t-il d’une lecture saine de la constitution marocaine qui promeut un islam tolérant et modéré, et qui consacre l’instauration de la démocratie au Maroc ?
Le pire et le plus dangereux de toute cette affaire est que nous savons tous la relation unissant ces Messieurs qui ont convié Arifi à venir discourir chez nous avec le parti politique qui dirige aujourd’hui le gouvernement, en l’occurrence le PJD… Il nous appartient donc, à juste titre, de nous demander quelle conclusion tirer de cette invitation avortée.., ne serait-ce pas le passage vers un autre cycle de crispation et de tension, sur la base de l’exclusion et de la haine ? Les combats et sacrifices consentis par les démocrates, des décennies durant, et les acquis engendrés serviront-ils finalement à un tel usage de la liberté, un usage qui mettrait en péril la paix civile et la quiétude sociale ?
Oui, Messieurs, absolument ! Car cet Arifi-là, de par les nombreux cas et exemples cités plus haut, est un prédicateur de la haine et de la rancoeur_ il est un prêcheur de la violence… il sermonne, harangue et exhorte au nom de l’islam, cette valeur sacrée commune à l’écrasante majorité des Marocains et aux musulmans du monde entier.
Si je dis cela, si je l’affirme, ce n’est qu’après avoir passé des heures entières à écouter et visionner les vidéos de cet homme sur youtube… et je saisis cette occasion pour féliciter et remercier les « mécréants » qui ont inventé cette plateforme de partage de vidéos qu’est youtube et qu’utilisent nos « croyants », nos « fidèles » pour transmettre et diffuser leurs discours de haine et de négation de la vie, et qui s’y trouvent très opportunément démasqués.
Tous ces énergumènes qui s’embrasent et s’enflamment brusquement, qui se mettent à éructer et à vitupérer, ignorent qu’ils vivent, et nous avec eux, dans un monde transparent où chacun observe l’autre et où tous se regardent et se dévisagent…
Ces autoproclamés « cheikhs » perçoivent pour leurs actes et leurs forfaits des centaines de milliers, des millions de dollars, des milliards de nos centimes. Devons nous rappeler ici les émoluments de Messieurs Amro Khalid, Youssef Qaradaoui, Tarek Souidane, Aed al-Qarni et bien d’autres encore de leurs semblables ? Devonsnous reprendre les propos de certains d’entre eux, confortablement installés à un jet de pierre de la plus grande base militaire américaine à Doha, qui appellent à la « guerre sainte », au « jihad », en Syrie, en Irak, en Libye, en Tunisie, évitant soigneusement Israël?
M.Arifi, nous n’avons nul besoin de votre fiel hypocrite où vous annoncez votre « salut pour les Marocains, jusques-y compris ceux qui ont refusé ma venue sur vos terres» !
Nous attendons en revanche votre réponse, et celle aussi des gens qui vous ont invité chez nous, à ces deux questions simples :
1/ Maintenez-vous, ou non, ce que vous dites et avez dit sur Youtube ?
2/ Si vos prédications sont désintéressées, comment subvenez-vous à vos besoins et de quelle manière gagnez-vous votre vie?
Les Marocains attendent, avant toute chose, votre réponse (et celle de vos commensaux locaux) à ces questions…
Et pour conclure, je voudrais dire la chose suivante : prenons garde, prenons tous garde et restons vigilants, car le terrorisme, avant même qu’il ne prenne la forme d’une ceinture d’explosifs ou de tout autre moyen de destruction, passe d’abord par le lavage des cerveaux, le durcissement des coeurs et la soumission de la pensée.
Je finirai par ce rappel d’une pensée de l’imam Ash-Shafiî (juriste et théologien musulman fondateur de l’école de pensée à laquelle il a donné son nom) qui résume parfaitement la situation: « Mieux vaut vivre de la danse que de la religion »…