Le débat sur l’enseignement de la darija à l’école prend une ampleur insoupçonnée. Depuis la fameuse rencontre organisée par Noureddine Ayouche, les échanges contradictoires deviennent si passionnels qu’ils rendent la visibilité brumeuse.
Les tenants de l’arabe classique avancent des arguments liés à la légitimité historique et religieuse de la langue. Réduire la place de l’arabe littéraire dans l’enseignement serait vue comme une tentative de porter atteinte à l’identité arabe, voire islamique du pays. De surcroît, l’arabe est pour eux la langue officielle inscrite dans la Constitution aux côtés du Tamazight. Ils dénoncent au passage la présence de plus en plus envahissante du parler marocain dans le paysage médiatique, musical, etc. Cela s’ajoute aux bizarreries linguistiques qui s’installent imperturbablement dans l’affichage publicitaire urbain.
Leurs contradicteurs rectifient que l’arabe, bien que ce soit la langue du Coran, n’est plus la langue quotidienne. On écrit, on parle l’arabe classique à l’école et à l’université, à la télévision, dans les conférences, mais pas dans la vie de tous les jours. L’arabe littéraire devient petit à petit une langue élitiste, dont l’usage se rétrécit avec le temps. Tout comme ce qui s’est passé avec le Latin durant les siècles passés en Europe. Le Latin, considéré également comme la langue sacrée de l’Eglise, a été graduellement supplanté par les langages courants qui sont aujourd’hui l’italien, le français, l’espagnol, le portugais.
Dans notre cas, la darija à l’image des parlers vernaculaires dans les autres pays arabes, est le fruit d’une évolution qui a progressivement intégré les diverses composantes de l’identité locale. Pour autant, la darija est-elle la solution au problème de l’enseignement ? Certes, l’arabisation irréfléchie des années 80 a montré ses limites. La baisse de la qualité de l’enseignement et la dégringolade du niveau des diplômés en est la fâcheuse conséquence. Rien d’étonnant que les étudiants ayant fait leurs études presque entièrement en arabe durant le primaire et le secondaire, trouvent toutes les difficultés du monde à opérer leur mise à niveau une fois arrivés à l’université. Il faut aussi voir si les pays arabes du Machrek qui ont mené une arabisation tous azimuts ont atteint un niveau d’enseignement performant. Sont-ils sortis de l’ornière de l’analphabétisme et du sous développement pour autant ?
De l’autre côté, la possibilité d’envisager l’introduction de la darija dans l’enseignement sera confrontée à toutes sortes d’obstacles. A commencer par l’instauration de règles grammaticales et d’une orthographe digne de ce nom. On le voit, c’est autrement plus difficile que d’inscrire des slogans à la sauvette sur les panneaux publicitaires ou de scribouiller des paroles de groupes de musique en vogue. Et si le débat est toujours le bienvenu sur les grandes questions d’avenir, il est tout aussi important de le dépassionner afin d’apporter les réponses les plus adéquates et les plus pragmatiques.