Les rassemblements successifs initiés par le Mouvement du 20 février en soutien à des revendications politiques et sociales, rassemblent chaque fois plus de gens, sans toutefois connaître un réel engouement populaire.
C’est devenu presque routinier depuis le 20 février 2011 : chaque dimanche, les jeunes du Mouvement appellent à des rassemblements, de plus en plus récupérés par les barbus. Dans de nombreuses villes, les manifestations se déroulaient généralement dans une ambiance bon enfant. Les forces de l’ordre, de leur côté, évitaient soigneusement d’intervenir, se limitant à regarder faire. Parfois même, elles veillaient à réguler la circulation automobile, histoire de ne pas perturber les manifestations. Mais le résultat est là : après trois mois de manifestations, de sit-in devant des bâtiments publics et de communiqués incendiaires dénonçant le gouvernement ou exigeant des emplois, le Mouvement est loin de percer et encore moins de trouver grâce dans l’opinion publique. Bien plus, lors des manifestations du 22 mai, la population s’est désolidarisée des manifestants dispersés dans les rues par des forces de l’ordre visiblement excédées.
Quelques raisons peuvent être avancées pour expliquer ce décalage évident entre les manifestants et la rue. Tout d’abord, la légitimité de la monarchie au Maroc n’est pas remise en cause, contrairement à d’autres régimes arabes qui ont été renvoyés par la rue ou qui sont sur la voie de sortie. Deuxièmement, la réactivité quasi instantanée avec laquelle le Roi Mohammed VI a répondu positivement aux revendications politiques a été un élément de surprise déterminant. Certains ont même vu dans la réforme de la Constitution une audacieuse offre allant au-delà des revendications initiales du Mouvement. Troisièmement, le Mouvement du 20 février, initialement formé de jeunes lassés par la corruption et la persistance du chômage a été rejoint en cours de route par des islamistes extrémistes, dont les intentions d’en découdre avec le régime suscitent les plus grandes réserves parmi la population.
Au final, la classe politique, les syndicats, les organisations de la société civile, aussi bien que les classes moyennes et populaires ont adhéré à la démarche royale. L’idée est d’attendre le travail préliminaire sur la réforme de la Constitution avant de se prononcer par référendum. C’est cette démarche consensuelle qui est certainement la raison de ce spectacle qu’on observe régulièrement dans plusieurs ville du pays : des dizaines de jeunes, voire des centaines qui peuvent augmenter à quelques milliers le dimanche à Casablanca ou Rabat. En face d’eux, des forces de l’ordre essayant de garder leur sang froid, mais surtout une population insouciante, presque indifférente qui vaque à ses occupations quotidiennes.
Dimanche 22 mai pourtant, le scénario a changé. Les forces de l’ordre ont décidé d’appliquer la tolérance zéro à l’égard des protestataires, dispersant parfois violemment les manifestants récalcitrants. Les autorités invoquent les perturbations occasionnées aux transports et à la circulation par des manifestations répétitives et intrusives dans l’espace public. C’est là un motif qui n’est pas totalement dénué de fondement, à voir le nombre incalculable de rassemblements et de manifestations de jeunes et de chômeurs à longueur de journée. Plus de 100 manifestations sont ainsi enregistrées chaque jour depuis plusieurs semaines, de quoi alarmer automobilistes et commerçants. Même les « ferracha », ces vendeurs des quatre saisons qui présentent leurs articles à même le sol, se disent perturbés de devoir ramasser à la hâte leur maigre marchandise à chaque passage de manifestation.
C’est à cette rupture béante avec la population que doit à présent répondre le Mouvement du 20 février s’il veut préserver l’égard d’avoir contribué à l’avènement d’une nouvelle étape dans l’histoire du Maroc.