La Politologue Khadija Mohsen Finan est une voix qui compte dans le sérail des analystes spécialisés dans l’étude du Maghreb. Maître de conférences à l’université Paris VIII et chercheur à l’Institut Europe/ Maghreb/ Méditerranée de cette même université, ses écrits ont souvent pris à rebrousse-poil les pouvoirs publics de plusieurs pays du Maghreb. Pour Labass.net , elle a bien voulu se prêter au jeu des questions/réponses sur l’actualité régionale, Le « Printemps arabe », le conflit du Sahara, ou les relations entre le Maroc et l’Algérie. Comme à son habitude, cette interview exclusive est sans tabous ni langue de bois.
Quel regard portez-vous sur l’évolution des révoltes arabes en cours à la lumière des dérives dramatiques en Syrie et au Yémen ?
Quelle que soit l’issue de ce mouvement révolutionnaire, il a déjà induit des changements notables à l’intérieur des pays et dans les relations internationales. Il a reconfiguré la géopolitique régionale et dicte de nouvelles relations entre le nord et le sud de la Méditerranée. Il ouvre un nouveau cycle de l’histoire en mettant fin à la vision américaine d’ordre et d’autorité qui a prévalu après 2001. Au sein du monde arabe, cette crise qui a affecté tous les pays, de manières différentes, avait une dimension morale indéniable. La richesse étalée et les inégalités devenaient insupportables pour les classes moyennes et l’univers de privilèges qui s’était installé avait des effets sur l’économie du pays – puisque les investisseurs étaient méfiants – et sur le moral des gens.Les effets de ces révolutions sont nombreux j’en retiens deux, majeurs à mes yeux : d’une part ces mouvements mettent fin aux faux-semblants qui caractérisaient les relations entre gouvernants et citoyens dans le monde arabe. Et d’autre part, ils modifient totalement les rapports d’autorité qui ne doivent plus être gouvernés par la peur. Progressivement l’arbitraire va laisser place au droit, c’est déjà un formidable acquis.
Comment expliquez-vous que le Maroc et l’Algérie, bien que très différents soient épargnés par les révoltes du « printemps arabe », et n’aient à faire face qu’à une contestation plutôt timorée ?
En réalité aucun pays n’est épargné par le mouvement de revendication mais celui-ci s’exprime différemment. Il ya dans tous ces pays, une lassitude et un désenchantement de la démocratie électorale et des partis politiques qui n’apportent plus le changement et ne le demandent même plus. Ils sont dans certains cas plus conservateurs que les pouvoirs en place et n’offrent pas d’alternative réelle. Les gouvernements sont jugés inefficaces et souvent corrompus. En Algérie et au Maroc les demandes n’ont pas été timorées, elles étaient ciblées et la rue était déterminée. Les pouvoirs sont tentés de s’ajuster aux demandes de la rue, même si cela s’est fait de manière différente. En Algérie, la rente pétrolière a permis de distribuer de l’argent à tout va, sans se préoccuper d’une réelle politique et en faisant fi des équilibres macro-économiques. Pour l’heure, les Algériens ne refusent pas cet argent, mais personne n’est dupe et ils savent parfaitement que l’offre du pouvoir ne correspond nullement à des réformes structurelles susceptibles de modifier la gouvernance et de les mettre en phase avec le régime. Au Maroc, je n’ai pas eu le sentiment que le mouvement du 20 février était timoré et la manifestation du 20 mars était encore plus importante. Des dysfonctionnements ont été dénoncés, les manifestants ont tout de même ciblé le gouvernement, l’entourage du roi et ont voulu réduire les pouvoirs du monarque. La réforme constitutionnelle annoncée se situe en réponse à cela.A vrai dire, cette offre par le haut paraît assez logique à certains égards. Le Maroc avait entrepris une ouverture de son système politique qu’il fallait conduire à son terme. Malgré cela une partie de la rue ne semble pas se satisfaire de ce qu’elle appelle une « Constitution octroyée ». En l’occurrence, dans ces deux pays aussi les demandes sont exprimées avec force et l’offre du pouvoir s’opère selon un schéma différent. Les réponses aux revendications sont quelques fois musclées, même si ce n’est pas comparable à d’autres pays arabes. Mais gardons nous de cultiver l’exception, le chamboulement de cet hiver nous incite à regarder la réalité telle qu’elle est. Lahouari Addi, un politologue algérien qui enseigne à Lyon a pu écrire « au delà du fait que les régimes arabes autoritaires ont atteint leurs limites historiques, les événements de Tunisie et d’Egypte ont détruit les conditions psychologiques de l’autoritarisme ».
L’on parle d’une éventuelle réouverture des frontières entre le Maroc et l’Algérie. Est-ce possible à brève échéance compte tenu du climat actuel dans la région ?
La frontière entre l’Algérie et le Maroc va finir par s’ouvrir, mais personne ne sait quand. Abdelaziz Bouteflika veut être seul maître de ce calendrier, mais l’armée a encore son mot à dire sur tout ce qui a trait aux relations entre les deux pays. Pour l’heure, il n’y a pas de dissolution de la DRS et le schéma politique est le même, il n’y a pas de raison pour que les choses commencent à changer à ce niveau d’abord. Sauf si le pouvoir algérien veut donner des signaux et étonner. Dans tous les cas les pronostics ne sont pas permis, le système demeure opaque même si ses acteurs sont quelque peu déboussolés.
Les marocains vous reprochent parfois d’être pro-Polisario dans vos analyses sur le Sahara Occidental, que répondez vous à cela, et quelle solution voyez vous pour sortir de l’impasse dans ce conflit ?
Ce n’est pas à moi de me justifier et de vous dire que je suis pro ceci ou pro cela. Il faut interroger ceux qui m’accusent. Moi, je sais depuis longtemps que c’est une manière de m’enlever tout crédit sur cette question qui est un objet d’étude pour moi. Je ne me suis jamais positionnée comme une militante et d’ailleurs je ne le suis pas. Si j’étais pro-polisario, je me contenterais de vous répéter à l’envi « autodétermination, autodétermination et droit des peuples à s’autodéterminer ». Et si j’étais pro-marocaine, je me contenterais de vous dire « mais nous avons un plan d’autonomie ». Mais je sais que ce genre d’arguments n’aide pas à aller vers une sortie de crise. Moi, je pense que la solution politique doit être consensuelle, c’est avec ses ennemis qu’on fait la paix. Je disais déjà en 1997 dans la conclusion de mon livre que l’autonomie pouvait être envisageable, mais elle doit être pensée et construite avec tous les acteurs. Elle doit aussi être acceptée par la majorité des Sahraouis. Reste à savoir qui on considère comme Sahraouis aujourd’hui.Je pense que c’est avec eux que Rabat doit imaginer un dénouement au conflit et non avec Paris ou avec Washington. Si le Maroc présente cette autonomie du Sahara comme un axe de sa politique de régionalisation globale, il considère déjà que le Sahara est intégré au Maroc. Cette posture crée un blocage dans la partie adverse. Or, c’est avec elle et avec tous les Sahraouis où qu’ils soient que le dénouement doit être pensé.
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